Hier dimanche j’étais plutôt isolé sur l’eau dans mon dernier long bord sous spi de ce long parcours côtier de 21,5 milles essentiellement en rade de Toulon. Le vent était un splendide thermique de 7-10 nœuds mais je commençais à sentir la fatigue après quatre heures de course, j’avais des ampoules aux deux mains malgré mes gants « voile » et je ruminais l’erreur grossière que je venais de faire juste avant le passage de la précédente marque de course, la marque lumineuse verte marquant le Nord de l’entrée du chenal de navigation du « Général de Gaulle » et autres navires de la Marine Nationale. Je vois alors grossir vers moi venant d’en face un beau cata puissant à l’allure familière et je reconnais Denise et Christophe Sainglin, mes camarades de club et voisins de la base nautique municipale de Hyères. Au croisement, Denise me lance un encouragement qui prend effet immédiatement. Ils étaient en rade de Toulon depuis quelques jours pour un entrainement fédéral et je les avais croisés la veille au Yacht Club de Toulon, notre base temporaire commune de départ.
Mon erreur de quelques minutes plus tôt soudainement devient moins pesante. J’étais sous spi asymétrique sur le plus petit canot de la régate et je remontais paisiblement un énorme Dufour 405 GL deux fois et demi plus long que mon Open 5.00 et surtout plus de 30 fois plus lourd mais qui n’avait pas haussé son spi sur ce bord de portant relativement bref! La marque de parcours à laisser à bâbord était bien visible et j’étais bien positionné pour la virer à l’intérieur du Dufour. Le vent venant de tribord arrière et je savais que l’énorme Dufour allait me faire une belle ombre de vent mais j’avais décidé que passer loin sous son vent était préférable à faire un détour pour passer à son vent et alors risquer de perdre l’intérieur du virement de la marque. C’était une belle erreur de ma part car même sans spi sous GV et génois, les 80 m2 de voile du Dufour 405 GL ont non seulement coupé le vent de mon spi mais aussi m’ont littéralement aspiré vers lui, avec mon spi pendouillant comme un énorme torchon jaune attaché à mon mât. Quel mauvais moment! Ma barre n’avait presque plus d’effet tout comme mes voiles à l’ombre de cette énorme masse très haute de pont. Le barreur du Dufour (Gilles Bartoloméo, merci) m’a permis de m’en sortir en remontant temporairement un peu le vent et cela m’a donné suffisamment d’air pour remplir à nouveau le spi et prendre quelques longueurs avant la marque.
Ais-je perdu 1 minute et 32 secondes dans cette manœuvre hasardeuse ? Peut-être. J’ai terminé la régate à la troisième place de mon groupe GR3 de 11 bateaux à 1 minute 32 secondes du second en temps compensé, un J80 et à moins de six minutes du premier, le splendide Archambault A31 de Guy Claeys, bien sponsorisé et venant directement de la Quadrasolo méditerranée après avoir fait la Transquadra. J’étais aussi à moins de sept minutes en temps compensé du premier du groupe GR2, Epsilon, un splendide Sunfast 3200 tout neuf, bateau officiel de la Marine, barré par Jean Rameil et qui est arrivé 50 minutes avant moi en temps réel. Mais quel excellent résultat pour moi, n’ayant pas régaté depuis presque quatre ans, à cause de mes choix hasardeux de bateaux!
Je ne m’attendais pas du tout à bien faire et mon ambition au départ était limitée à garder le contact avec les trois autres Open 5.00. J’ai commencé à m’intéresser à ce bateau au début de cet été lorsque j’ai réalisé que mon Albatros ne me permettrait pas de sortir en solo sous spi sans grosses modifications hors monotype (un avaleur qui marche ou un gennaker sur emmagasineur). J’ai initialement pensé au Devoti D-One mais un essai au Lac de Ste Croix m’a montré que j’allais dans une mauvaise direction car un skiff à une mauvaise stabilité initiale, à l’inverse de ce que mes vieux os demandent. Une discussion sur le forum du D-One m’a ensuite orienté vers Michel Bourgeois et le petit groupe d’Open 5.00 du Yacht Club de Toulon. J’ai d’abord essayé l’Open 5.00 que Yves Lajeunesse a mis en vente à La Londe mais sa mise à l’eau à La Londe est problématique et impossible pour un solitaire. A Hyères le stationnement du bateau de près de 300 kg est aussi un problème. A Toulon, Michel m’a d’abord proposé une sortie de découverte (sur le sujet « ce bateau est-il utilisable en solo? ») qui a été bien convaincante et ensuite m’a proposé de faire la régate La Solitaire de la Société Nautique des Mouissèques avec Bambarras mis à ma disposition bien gracieusement par son propriétaire, Etienne Lebreton, que je remercie de tout cœur, tout comme Michel.
Avec Michel quelques jours auparavant on est sorti en double sur Bambarras pour se préparer mais à la mise à l’eau, j’ai coincé mon pied au mauvais endroit et j’ai blessé un ligament croisé de mon genou gauche. J’ai donc fait la course sur une jambe et demie, sur un bateau peu familier dans une rade peu familière mais j’ai essayé de compenser par une préparation aussi poussée que possible des parcours listés par observation la veille à partir des hauteurs de la route côtière et par un épluchage des instructions de course.
Dimanche matin, donc j’arrive tôt au club pour ajouter des penons sur mes haubans et sur le bord de fuite de la GV et pour tensionner mes lattes de GV mais je me laisse distraire et devient le dernier Open 5.00 à quitter la cale. Immédiatement je dois remettre en place une came de barre qui ne permettait pas d’accrocher la barre (opération particulière au système Hobie et pas facile à faire la première fois). La pétole du matin ne me permet d’arriver sur la zone de départ que quelques minutes avant le signal d’avertissement du premier départ. Sur ce parcours d’approche je constate que ma latte supérieure était trop tensionnée par moi quelques instants plus tôt et ne changeait pas de courbure aux virements de bord. Brutaliser la bôme latéralement ne marche pas faute de vent suffisant. Il faudrait affaler et détensionner cette latte mais je n’ai pas sur moi la clé Allen nécessaire! Rien à faire! Je vais donc faire toute la régate avec une GV dont la corne (sa partie la plus efficace) fait un crochet trop prononcé à tribord amures et s’efface complétement dans une méchante courbure inversée à bâbord amures! Quel mauvais augure et quel désastre aérodynamique!
J’ai juste le temps de lire sur le bateau comité que le parcours n°2, le plus long, est affiché. Je n’aime pas trop car il sort de la rade dans une zone rocheuse inquiétante que je ne connais pas du tout et qui comporte l’obstacle de l’émissaire en mer du Cap Cépet. De plus il faut laisser presque toutes les bouées à tribord, ce qui n’est pas courant. J’avais pris ma VHF portable et cela m’a aidé à bien suivre le compte à rebours mais j’avais cru comprendre que notre départ serait le troisième. Heureusement que les collègues me corrigent, car nous étions en fait sur le deuxième et dernier départ. Yves Prin sur l’Open 5.00 Pytheas observe mes réglages et me fait hisser la GV à son plus haut car j’avais oublié de faire un nœud de sécurité sur la drisse qui avait glissé. Je n’ai plus le temps de suivre ma procédure de vérifications habituelles d’avant-départ de régate et je ne sais donc pas combien de temps il me faut pour faire toute la ligne avec ce vent. Une bataille de positionnement se prépare avec tout le monde (27 bateaux au total dont 8 pour le premier départ et 19 pour le second) groupé du coté du bateau comité et je décide d’éviter la cohue en allant rechercher l’air non perturbé et en partant le long de la ligne vers la bouée de départ. Comme cela m’est arrivé souvent par le passé, sans mesure du temps nécessaire pour longer la ligne du bateau comité à la bouée, je panique un peu en la voyant arriver vite et je donne un coup de frein qui n’est pas nécessaire mais je fais néanmoins un bon départ en solitaire sur un bateau nouveau pour moi. J’aborde la bouée de dégagement dans le groupe de tête mais je fais alors ma première erreur stratégique en ne me mettant pas nettement au vent de la route directe pour éviter de se faire gazer par les autres bateaux, tous plus grands et plus rapides au près que l’Open 5.00.
Ce bord a été long, très long. Je cherche de bons réglages avec ma latte supérieure récalcitrante, mais j’ai pour tout résultât de passer la bouée en X de l’émissaire de Ste Marguerite dans les derniers, juste derrière les trois autres Open 5.00 qui, mieux réglés, ont suivi une meilleure trajectoire dans un vent moins perturbé. Mais j’ai alors la surprise de constater que si tout le monde devant moi prend la direction pour passer au Sud du Cap Cépet, les trois Open 5.00 eux, l’un après l’autre, prennent une direction toute autre, 50° plus à droite et hissent le spi. Que savent-ils que je ne sais pas? Je vérifie le parcours imprimé la veille et mis dans un protège feuille transparent et le parcours n°2 que j’ai est bien celui pris par la grande majorité de la flotte . Je décide alors de suivre la majorité de la flotte. Il se trouve que le premier Open 5.00 à virer la marque avait un parcours qui n’était plus à jour. Les deux autres ont suivi car il faut bien le dire dans ce genre de régate par handicap entre bateaux très disparates, la course en temps réel entre bateaux identiques est infiniment plus intéressante et plus instructive.
Au passage du Cap Cépet, on a un peu plus de mer et des brisants à laisser à tribord. Je m’écarte trop et je tarde trop à hisser le spi pour ne pas tutoyer les brisants. Bientôt je ne vois plus personne derrière moi mais les bateaux loin devant me donnent une bonne indication du bon endroit à choisir pour empanner pour virer la bouée mouillée au voisinage du port St Elme. Je reste en trajectoire haute sous spi asymétrique dans un vent mollissant et je vire en passant à l’intérieur de deux gros bateaux qui ont dû affaler bien avant moi, dont le Dufour 405. Ce dernier me doublera tranquillement dans le bord de près du retour vers le Cap Cépet, ce qui amènera notre avant-dernier croisement déjà décrit plus haut. Sur le bord final de portant il me repassera devant. Au final, seuls deux bateaux passeront la ligne après moi, dont Pytheas d’Yves Prin, qui a eu le courage d’aller jusqu’au bout de son parcours allongé. Je l’ai croisé à mon retour vers le Cap Cépet.
J’ai été étonné que les organisateurs n’aient pas choisi un groupement qui aurait réduit les différences de vitesse entre les bateaux d’un même groupe. Par exemple les onze bateaux de mon groupe avaient des potentiels de vitesse bien différents allant d’un coefficient HN de 13 (le plus lent, pour l’Open 5.00, le plus petit bateau de la régate) à un HN de 30,5. Il aurait été plus intéressant à mon avis de coureur, de mettre ensemble les petits coefficients HN d’un coté, les gros coefficients HN d’un autre et au milieu les intermédiaires. A la remise des prix j’ai aussi entendu quelques autres participants pas trop contents à ce sujet.
Je remet à un prochain article mes commentaires sur l’Open 5.00 et sa comparaison avec l’Albatros.
Sur ce tableau de résultats de mon groupe, c’est le nom du propriétaire (absent) de Bambarras qui apparait. Yves Maillard, le président du comité de course a maintenant rectifié et voici le résultat officiel FFV
(Régate Départementale LA SOLITAIRE GR3 CLASSES L R1 R2 R3 R).
Régate Départementale LA SOLITAIRE GR1 Classes A B C D1
Régate Départementale LA SOLITAIRE GR2 CLASSES D2 E F G
Au passage il y a une chose qui m’ennuie dans tous les résultats officiels FFVoile, c’est qu’ils ne comportent jamais l’information sur la longueur de la régate, les temps réels et les temps compensés. Si on veut les avoir il faut être présent physiquement à la remise des prix et les résultats détaillés affichés alors ne sont jamais publiés sur le site du club organisateur. Pourquoi? Simple paresse?